Plus c'est compliqué plus c'est beau

Molière déjà

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JACQUELINE.- L'habile homme que velà!

LUCAS.- Oui, ça est si biau, que je n'y entends goutte.

SGANARELLE.- Or ces vapeurs, dont je vous parle, venant à passer du côté gauche, où est le foie, au côté droit, où est le cœur, il se trouve que le poumon que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre, en son chemin, lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l'omoplate; et parce que lesdites vapeurs... comprenez bien ce raisonnement je vous prie: et parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité... Écoutez bien ceci, je vous conjure.

GÉRONTE.- Oui.

SGANARELLE.- Ont une certaine malignité qui est causée... Soyez attentif, s'il vous plaît.

GÉRONTE.- Je le suis.

SGANARELLE.- Qui est causée par l'âcreté des humeurs, engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs... Ossabandus, nequeys, nequer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement, ce qui fait que votre fille est muette.

JACQUELINE.- Ah que ça est bian dit, notte homme!

LUCAS.- Que n'ai-je la langue aussi bian pendue!

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Alex Bavelas

Alex Bavelas montre que ceci est un réflex humain qui peut faire l'objet d'expérience.

Je puise ma source dans La réalité de la réalité, confusion, désinformation, communication, Paul Watzlawick ,pages 56 à 58

Le dispositif expérimantal.
<<Dans l'une de ces expériences, deux sujets, A et B, sont assis face à un écran de projection. Ils sont séparés de manière à ne pouvoir se voir et on leur enjoint de ne pas communiquer. On leur montre ensuite des diapositives médicales représentant des cellules saines et des cellules malades, et on leur demande d'apprendre, par tâtonnements, à les distinguer. Chacun a devant soi deux boutons marqués respectivement « saine » et « malade », ainsi que deux signaux lumineux marqués « vrai » et « faux ». Ils doivent presser l'un des boutons chaque fois qu'apparaît une diapositive, sur quoi l'une des deux lumières s'allume.
Le contrôle de A ne lui ment pas, c'est-à-dire que les lumières s'allument en fonction de la justesse ou de l'erreur réelles de ses réponses. Il est placé en situation de simple discrimination, et la plupart des sujets A apprennent au cours de l'expérience à reconnaître les cellules avec un bon taux de réussite (à savoir environ 80 %).
La situation de B est très différente : son contrôle est basé non pas sur ses propres réponses, mais sur celles de A. Ce qu'il décide de l'état d'une cellule n'a par conséquent aucune importance : la lumière lui dit « vrai » si A a bien répondu, « faux » si A s'est trompé. Cela, B ne le sait pas -, on l'a amené à croire qu'il y a un ordre, qu'il doit découvrir cet ordre en donnant des réponses avant d'apprendre s'il a bien ou mal répondu. Mais tandis qu'il questionne le « sphinx », il obtient des réponses déroutantes, parce que ce n'est pas à lui que parle le sphinx. Autrement dit, il ne dispose d'aucun moyen pour découvrir que les réponses qu'il obtient sont arbitraires, à savoir qu'elles n'ont rien à voir avec ses questions, et qu'il n'apprend donc rien quant à ses hypothèses. Ainsi il cherche un ordre là où il n'en existe aucun qu'il puisse découvrir lui-même.>>

Le résultat.
<<On demande finalement à A et B de discuter de ce qu'ils considèrent maintenant comme les règles de discrimination entre cellules saines et cellules malades. A donne des explications simples et concrètes; celles de B sont nécessairement très subtiles et complexes : n'a-t-il pas dû, après tout, former ses hypothèses sur la base d'indices ténus et contradictoires?
Ce qui est étonnant, c'est que A, loin de rejeter par un simple haussement d'épaules les explications de B comme trop compliquées ou même absurdes, est au contraire impressionné par leur « éclat » sophistiqué.
A tend à se sentir inférieur et vulnérable à cause de la simplicité badaude de ses assertions.
Plus les « illusions » de B seront compliquées, plus elles seront propres à emporter la conviction de A. (Ce caractère contagieux des illusions n'étant que trop connu hors du laboratoire de recherches sur la communication, nous en considérerons plus loin quelques exemples éloquents.)
Avant qu'ils ne passent un second test identique (mais composé de nouvelles diapositives), on demande à A et B de deviner lequel d'entre eux réussira mieux que la première fois. Tous les B et la plupart des A répondent B. B en vérité ne fait aucun progrès, mais paraît, comparativement parlant, mieux réussir car A, qui partage maintenant au moins quelques-unes des idées abstruses de B, réussit sensiblement moins bien que la première foi.>>

<<L'enseignement qu'on tire
de l'ingénieuse expérience de Bavelas comporte des implications étendues : il démontre qu'une fois notre esprit emporté par une explication séduisante, une information la contredisant, loin d'engendrer une correction, provoquera une élaboration de l'explication. Ce qui signifie que l'explication devient « auto-validante » : une hypothèse ne pouvant être réfutée .
Armé de la singulière logique d'une hypothèse auto-validante, on atteint au bout du compte une certitude affirmée. Si l'hypothèse est que la prière peut guérir la maladie, la mort d'un malade « prouvera » donc qu'il a manqué de foi, ce qui « prouve » en retour la justesse de l'hypothèse.
Dans une semblable veine, le Prix Lénine Sergeî Mikhalkov expliquait tranquillement dans une récente interview : « Aucun communiste convaincu ne saurait virer à l'anticommunisme. Soljénitsyne ne fut jamais un communiste ».
A propos de la revendication de la thérapie comportementale à être un traitement rapide et sûr des phobies, un orateur représentant les psychanalystes résuma les choses, à l'occasion d'une controverse, en disant d'un livre sur l'approche psychothérapique comportementale des phobies que son auteur « définit la condition d'une façon acceptable par les seuls théoriciens du conditionnement et qui ne correspond pas aux critères de la définition psychiatrique du trouble en question. Ses affirmations ne devraient donc pas s'appliquer aux phobies, mais à quelque autre condition ». La conclusion est imparable : une phobie susceptible d'être guérie par la thérapie comportementale n'est pour cette raison pas une phobie.
Mais, comme l'a montré Popper , la réfutabilité est la condition sine qua non de l'explication scientifique. Les conjectures de la sorte que nous considérons ici sont donc pseudo-scientifiques, superstitieuses, et en fin de compte psychotiques au sens strict.
Si nous regardons l'histoire mondiale, nous voyons que des conjectures pareillement « irréfutables » ont été responsables des pires atrocités. L'Inquisition, l'idée d'une supériorité raciale, la prétention des idéologies totalitaires à avoir trouvé l'ultime réponse, sont des exemples qui viennent immédiatement à l'esprit.>>