Un baiser et un tunnel

...  l'histoire que voici  (est) extraite de la clandestinité européenne au temps d'Hitler sera-t-elle une bonne illustration de mon propos.

 

Une grand-mère américaine et sa jeune et ravissante petite-fille, étaient, avec un officier roumain et un officier nazi, les seuls occupants d'un compartiment de chemin de fer.

 

Le train traversait un tunnel sombre et, la seule chose que l'on entendit fut le bruit d'un baiser sonore suivi d'une gifle vigoureuse.

 

Lorsque le train déboucha du tunnel, personne ne souffla mot, mais

  • la grand-mère se disait en elle même: "J'ai quand même bien élevé ma petite-fille. Elle saura se débrouiller dans la vie. Je suis fière d'elle."
  • La petite-fille, elle, se disait "Allons, grand-mère est assez âgée pour ne pas s'offusquer d'un petit baiser. D'ailleurs ces garçons sont gentils. Tout de même, je ne lui savais pas la main si lourde."
  • L'officier nazi méditait: "Ces roumains quand même, comme ils sont astucieux. Ils volent un baiser et s'arrangent pour que ce soit le voisin qui reçoive la gifle."
  • L'officier roumain, lui, contenait mal son hilarité: "Comme je suis malin," pensait-il, "je me suis baisé la main et j'ai flanqué une gifle au nazi."

Dans :" LE ROLE DU LANGAGE DANS LES PROCESSUS PERCEPTUELS" de

ALFRED KORZYBSKI,  (1951)